Parler de sexisme ordinaire a été fait des milliers de fois. J’en entends
parler de près ou de loin. Parfois lors de moments entre amies, ou en famille.
Et même en le vivant à une petite échelle, c’est l’échelon de trop. Sentir
que ce que je dis a moins de valeur que le discours d’un homme, je ne le vis
peut-être pas tous les jours, mais les quelques fois où ça m’est arrivé, je m’en
souviens, car la sensation au fond des entrailles est marquante. Et quand ça se
passe dans le milieu professionnel j’aimerais pouvoir taper du poing sur le comptoir,
comme je le ferais en dehors. Mais non. Je garde mon visage de façade, et j’attends
de voir ce client se diriger vers mon collègue. Encore.
C’est rageant. C’est humiliant. C’est un automatisme qui fait mal. Not
all men comme ils disent, mais souvent un seul suffit. Le ressentir tous les
jours, une fois par semaine, une fois par mois, une fois par année, suffit.
Suffit à te faire croire que tu vaux moins, que ton savoir est plus faible, que
ton conseil de femme sera forcément niais ou trop féminin pour un homme. Juste parce
que ton sexe n’est pas le même que le sien. Et même quand tu sais au fond de
toi que tu es compétente, le doute n’a pas besoin de ça pour s’installer. Ni la
haine.
Et j’ai lu Vox de Christina Dalcher. J’ai senti mon corps être
parcouru de frissons à chaque page. J’ai regardé mon poignet, là où se trouve
ma montre actuellement, et j’ai imaginé ce compte-mot qui défile et t’empêche d’utiliser
plus de 100 mots par jour. 10 de plus et c’est une décharge, toujours plus
forte, jusqu’à la mort parfois. J’ai frissonné devant la facilité du basculement
de l’État. Comment des passeports peuvent facilement disparaître. Comment des
gens peuvent se faire enfermer dans des camps car leur orientation sexuelle n’est
« pas la bonne ». J’ai eu peur en voyant ma fille parler sans y
penser, sans se rendre compte qu’en quelques minutes son compte-mot serait
épuisé et lui ferait alors très mal. Et qu’aucun bisou magique ne pourrait l’a réconforté.
Je l’ai imaginé ne pas comprendre, et pleurer de ne pouvoir s’exprimer. Tout ça, parce qu'on est de sexe féminin.
Si la fin de ce roman dystopique est un peu bâclée et précipitée, le tout
n’en reste pas moins important. Comme toujours ce genre de roman nous paraît
bien loin de notre vie, et pourtant… le pas est si facile à franchir. A force d’être
attentive, je me rends toujours plus compte de la façon dont on muselle les
voix qui dérangent. On peut choisir de fermer les yeux, comme les femmes du
roman qui décident d’avancer le dos voûté, les lèvres scellées. Ou on peut
décider de crier. Murmurer lors des histoires du soir que se taire on le fait
que quand on le décide, nous.