mardi 26 mars 2019

Trouver sa voix


Parler de sexisme ordinaire a été fait des milliers de fois. J’en entends parler de près ou de loin. Parfois lors de moments entre amies, ou en famille. Et même en le vivant à une petite échelle, c’est l’échelon de trop. Sentir que ce que je dis a moins de valeur que le discours d’un homme, je ne le vis peut-être pas tous les jours, mais les quelques fois où ça m’est arrivé, je m’en souviens, car la sensation au fond des entrailles est marquante. Et quand ça se passe dans le milieu professionnel j’aimerais pouvoir taper du poing sur le comptoir, comme je le ferais en dehors. Mais non. Je garde mon visage de façade, et j’attends de voir ce client se diriger vers mon collègue. Encore.

C’est rageant. C’est humiliant. C’est un automatisme qui fait mal. Not all men comme ils disent, mais souvent un seul suffit. Le ressentir tous les jours, une fois par semaine, une fois par mois, une fois par année, suffit. Suffit à te faire croire que tu vaux moins, que ton savoir est plus faible, que ton conseil de femme sera forcément niais ou trop féminin pour un homme. Juste parce que ton sexe n’est pas le même que le sien. Et même quand tu sais au fond de toi que tu es compétente, le doute n’a pas besoin de ça pour s’installer. Ni la haine.



Et j’ai lu Vox de Christina Dalcher. J’ai senti mon corps être parcouru de frissons à chaque page. J’ai regardé mon poignet, là où se trouve ma montre actuellement, et j’ai imaginé ce compte-mot qui défile et t’empêche d’utiliser plus de 100 mots par jour. 10 de plus et c’est une décharge, toujours plus forte, jusqu’à la mort parfois. J’ai frissonné devant la facilité du basculement de l’État. Comment des passeports peuvent facilement disparaître. Comment des gens peuvent se faire enfermer dans des camps car leur orientation sexuelle n’est « pas la bonne ». J’ai eu peur en voyant ma fille parler sans y penser, sans se rendre compte qu’en quelques minutes son compte-mot serait épuisé et lui ferait alors très mal. Et qu’aucun bisou magique ne pourrait l’a réconforté. Je l’ai imaginé ne pas comprendre, et pleurer de ne pouvoir s’exprimer. Tout ça, parce qu'on est de sexe féminin. 

Si la fin de ce roman dystopique est un peu bâclée et précipitée, le tout n’en reste pas moins important. Comme toujours ce genre de roman nous paraît bien loin de notre vie, et pourtant… le pas est si facile à franchir. A force d’être attentive, je me rends toujours plus compte de la façon dont on muselle les voix qui dérangent. On peut choisir de fermer les yeux, comme les femmes du roman qui décident d’avancer le dos voûté, les lèvres scellées. Ou on peut décider de crier. Murmurer lors des histoires du soir que se taire on le fait que quand on le décide, nous.  

5 commentaires:

  1. J'en ai presque des frissons rien qu'en lisant ce que tu en dis... Je n'avais pas du tout entendu parlé de ce livre, je l'ajoute à ma liste de livre à lire, je DOIS le lire, c'est certain !
    ( J'aime beaucoup ta façon très personnelle de parler de livres et de tout ce dont tu as envie de nous parler :) )

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  2. Merci pour la découverte de ce roman qui m'intrigue beaucoup.

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  3. L'article m'a laissé sans voix...
    J'ai trop envie de lire ce livre, merci :)

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  4. Waouh, un roman coup de poing, d'après ce que tu en dis ! Il a l'air top, je le note :) Belle journée Margaud, bisous ♥

    Sue-Ricette

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  5. La servante Écarlate ou le film Time out ont une ambiance assez similaire je trouve.

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